Encore une année de presque tirée : MAIS IL FAUT LA BOIRE ! par François Leclerc

Billet invité.

Parlons sérieux ! Janet Yellen, qui se prépare à prendre la succession de Ben Bernanke à la tête de la Fed, va avoir l’année qui vient une grande préoccupation : comment poursuivre la décélération des achats d’actifs sans susciter une hausse des taux sur le marché de la dette, et par ricochet sur tous les compartiments du crédit ? Car cela contrecarrerait les efforts de réduction du déficit, briderait la relance économique et accentuerait la détérioration de la situation des classes moyennes américaines. Le décor est en attendant dressé.

Une telle hausse, dont la poussée s’est déjà faite sentir comme un signe annonciateur, aurait inévitablement des répercussions sur les taux européens et noircirait un tableau qui n’en a pas besoin en alourdissant le poids de l’endettement. Si la BCE a par deux fois diminué son taux principal directeur, aboutissant à dissocier les taux d’intérêts observés en Europe et aux États-Unis – comme s’en est prévalu Benoit Coeuré, membre de son directoire – un tel découplage peut-il se poursuivre ? Parvenue au taux de 0,25%, la banque centrale n’a plus beaucoup de marge de manoeuvre pour y contribuer !

L’addiction des marchés aux mesures non conventionnelles des banques se confirme être forte, que celles-ci se concrétisent par une création monétaire pure ou déguisée (le LTRO de la BCE), l’assouplissement des conditions de crédit, ou des assurances sur la poursuite de sa politique (forward guidance). Chaque banque centrale a sa recette, fonction de la situation à laquelle elle doit faire face et de ses contraintes (notamment statutaires pour la BCE). Contradictoirement, la Fed cherche à emprunter la pente descendante tandis que la Banque du Japon annonce qu’elle pourrait aller au-delà de ses objectifs initiaux de création monétaire. La BCE continue de tourner autour du pot, se contentant dans l’immédiat d’effets d’annonce qui vont devoir un jour ou l’autre se concrétiser.

Les banques centrales ont comme mission traditionnelle de veiller à la stabilité financière et à la bonne santé du système bancaire, avec ces dernières décennies comme objectif de s’opposer au retour d’une inflation qui ne menaçait guère. Le monde a entre temps changé et leur mission aussi : progressivement, celle-ci s’élargit sans qu’elles ne disposent de nouveaux instruments adéquats, réduisant leur politique à des invocations quand il s’agit de l’économie. Au danger de l’inflation a succédé celui de la déflation (quand elle n’est pas acquise comme au Japon), tandis que les liquidités qu’elles dispensent abondamment ne contribuent pas comme espéré à la relance.

Larry Summers, le candidat défait à la présidence de la Fed, évoque la possibilité d’une « stagnation séculaire » qui ferait suite à la forte croissance économique enregistrée en continu. Devenu chef économiste de la banque américaine Citi, Willem Buiter présente un constat plus nuancé, voyant seulement l’Europe s’enfoncer dans la stagnation, ce qui le conduit à préconiser que la BCE suive l’exemple de la Fed et de la Banque du Japon et « monétise l’expansion de son bilan » en achetant des titres de la dette publique et privée, tout en adoptant pour une longue période un taux très proche de zéro.

Roger Farmer, un professeur de UCLA bénéficiant d’un poste de chercheur attaché à la Banque d’Angleterre, prolonge la logique de l’élargissement de la mission des banques centrales et préconise la naissance de nouvelles institutions du même type. Il leur en serait confié une nouvelle, qu’il qualifie de « qualitative easing » pour la distinguer de quantitative easing (assouplissement quantitatif). Celle-ci consisterait à stabiliser les marchés d’actifs en permanence, en adoucissant leurs fluctuations grâce à des achats massifs de ceux-ci, afin d’éviter que les bulles financières n’éclatent et ne perturbent le fonctionnement de l’économie. Puisque que leur apparition est inévitable et qu’on ne peut agir en aval, intervenons en amont. Voilà où l’on en est…

L’incertitude qui plane sur l’évolution des politiques conduites par les banques centrales, ainsi que sur leur résultat, tout comme la diversité de ces préconisations, témoigne de la confusion régnante. Ne renvoie-t-elle pas alors à une autre approche, alors qu’il est fait ici référence aux Brady bonds utilisés en Amérique latine dans les années 1980, et là à la tenue d’une conférence européenne sur la soutenabilité de la dette (par Hans-Werner Sinn, un économiste allemand très réputé) ? Groupe informel de créanciers publics formé dès 1956, le Club de Paris n’a cessé depuis sa création d’alléger la dette des pays qui ne parvenaient pas à la rembourser. La nouveauté est qu’il ne s’agit plus désormais de celle de pays en voie de développement, comme ils étaient alors qualifiés, mais des pays avancés, ce qui impose de toutes autres reconsidérations… Une autre formule devra sans doute être trouvée, sera-t-il possible de l’esquiver éternellement ?

En expliquant que « tôt ou tard » la zone euro éclatera si la politique qu’elle préconise n’est pas adoptée, Angela Merkel a à la fois raison sur le constat et tort sur la solution. Au Japon, Shinzo Abe n’est toujours pas parvenu à décocher une « troisième flèche » toujours attendue, mais le gouvernement vient de décider de nouvelles largesses budgétaires en débloquant l’équivalent de 40 milliards d’euros de travaux publics, afin de limiter les effets sur la consommation d’une hausse de trois points de la TVA en avril prochain : il donne d’une main ce qu’il retire de l’autre, sans effet sur le déficit et la dette japonaise. En Europe, François Hollande exprime faute de mieux « deux exigences » : « faire reculer durablement le chômage » et «  renouer durablement avec la croissance », ne pouvant se prévaloir que d’avoir freiné les intentions d’Angela Merkel d’instaurer un nouveau mécanisme contraignant en envoyant au front ses collègues espagnol et italien, tout en restant incapable de formuler une politique européenne alternative, car il faudrait sortir du cadre.

Joyeux Noël, en attendant Pâques !